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Bio

Marine Chevanse vit et travaille sur une diagonale Strasbourg-Hendaye.

Son attachement à tout ce qui ne peut s’enseigner autrement que par l’expérience
et la transmission l’amène à former des collections de gestes et de récits.

Ce qui nourrit ses réflexions, c’est l’énergie – celle qui émane d’évènements sociaux singuliers, de savoir-faire, de tradition. Son territoire de recherches évolue donc auprès
des corps en mouvement liés aux éléments, qu’il s’agisse de la glace d’une patinoire
aux bourrasques d’un littoral. Ainsi elle s’immisce entre les formes du vivant et fait l’expérience des tensions collectives et individuelles.

Les corps en mouvement associés à un répertoire de formes, d’outils et de sensations
lui permettent d’abstraire les formes du réel au sein d’un travail pictural et sculptural.



Texte de Clara Denidet,
à propos de l’exposition Héritières,
présentée au 47-2 du 25 novembre 2022
au 15 janvier 2023.


Il fallait d’abord sauter dans le bain.
Comme ré-inventer la roue ou le feu,
faire des tambouilles épaisses, ouatées.
Faire l’expérience des cuisines
anciennes, des boues millénaires, de la
pâte à papier. Y mettre les mains pour se
souvenir de choses probablement jamais
sues, peut-être entendues, mais où ?
Et de qui déjà ?
Je me souviens pourtant. Répéter
inlassablement les gestes, les répéter
assez pour les oublier enfin, pour
oublier que les mains font se ules.
Qu’elles s’en débrouilleront. Que
d’autres peut-être les guident déjà.
À ce moment semble t-il, affleurent
à la surface de l’eau cette matière filante
qui fait se souvenir.

Soleil en juillet. La pulpe décante dans
les bacs en plastique. Repos des pots
parfaits, bouillie bleue et verte.
À l’air qui nous parvient, sèchent
de grandes nappes, proches de celles
que d’autres ont gardé pour les
jours importants, pliées serrées dans
l’obscurité des armoires. Celles que
l’artiste fabrique ici sont faites de
dizaines de feuilles assemblées les unes
aux autres, pressées fort sous la maille
des tamis.
À la lumière enfin, on en distingue les
couches et les épaisseurs, l’irrégularité
des gestes renouvelés, cherchant
encore. L’assemblage, l’accollement.
Comme plus loin, entre les lignes
d’une lettre non-écrite mais tissée
de fils, il faut ré-apprendre à lire.

À la manière qu’elle a de tordre ce dont
elle se rappelle, de faire de tendres
rapprochements, Marine Chevanse
dresse ici une table rêvée.
Elle cordelle comme on brodait avant
les initiales d’invité·es fantômes
vivant·es et mort·es, qu’elle convie
à mâcher pareil pierres, cire, verres et papier. 
Au-dessus s’éclairent des pulpes aux
couleurs vives et des portraits veillent :
Atatxi* en chemise et l’artiste en reflet.
Elle prête l’oreille à ce qui se dirait 
précisément là, dans ces moments de
repas inventés comme dans les mots
qu’on se confie tard dans la nuit.
Ça fait des échos infinis
et des bruits de vagues.



*grand-père en langue basque






©MarineChevanse 2023
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